Journal d’un monde plein de préjugés : pourquoi je ne mets plus de costume cravate pour aller faire mes courses

Ce post a été écrit en Janvier 2017, j’avais fait le choix de ne pas parler technologie pour débuter 2017, mais des préjugés auxquels nous faisons souvent face, dans nos vies courantes, par rapport à notre race, notre nationalité, notre sexe, notre orientation sexuelle, notre religion, etc. Ce récit se fera à travers quelques péripéties de ma vie.


Il y a quelques années, j’écoutais sur l’une des principales chaines de télévision publiques française un débat sur les préjugés raciaux, j’écoutais un jeune cadre noir qui indiquait qu’il était allé une fois à un entretien de recrutement dans une entreprise du CAC 40, à son siège à La Défense-Paris, et il avait été pris pour l’agent de sécurité de remplacement qui avait été envoyé pour palier à une absence de dernière minute. Il racontait qu’il avait mis ce jour-là son plus beau costume qui lui avait coûté quelques centaines d’euros. Mal lui en a pris, cela n’avait pas empêché d’être pris pour l’agent de sécurité. Il ajouta ensuite que cela ne signifiait nullement qu’un agent de sécurité était incapable de s’acheter un costume à plusieurs centaines d’euros, mais qu’il appréhendait mal que celui-ci mette son costume le plus onéreux pour aller faire son service. Ce soir-là, j’en rigolais et j’ignorais que mon tour viendrait bientôt.

Je travaille dans un environnement, qui exige de nous un certain standard dans la tenue de travail, ce que certains qualifient de « Business formal ». Aussi ai-je pris l’habitude de me rendre à travail en costume de ville comme de millions de personnes.

L’agent de sécurité

Un soir, à la sortie du travail, je partis faire des courses dans un magasin de sports bien connu et bien implanté à l’international, quand subitement je fus abordé par un couple qui m’interpella et me demanda s’il pouvait emprunter exceptionnellement un passage interdit pour sortir du magasin, car, expliqua ce couple, n’ayant fait aucun achat, il ne voyait pas l’intérêt de sortir par le passage des caisses. Tout de même surpris par cette interpellation, je répondis tout gentiment que j’étais un client comme eux, et que je n’en savais pas grand-chose. Au regard tout contrarié du couple, je compris que celui-ci m’avait pris pour l’agent de sécurité du magasin. Le couple s’excusa à plusieurs reprises pour cette méprise et je leur souhaitai une bonne fin de journée. Cet épisode me fit bien rigoler, je suis rentré à la maison et je le racontai ensuite à mes proches et collègues. D’autres le prirent avec humour, certains goutèrent très peu à cette plaisanterie. Mes collègues poursuivirent leur plaisanterie en disant qu’avec mon allure sportive, et ma tête tondue, habillé en costume et cravate je pouvais passer aisément pour un agent de sécurité.

Le vendeur

Quelques semaines plus tard, je me rendis encore une fois, en fin de journée, à la sortie du boulot, cette fois dans un magasin d’électronique. Je me fis interpeller par un monsieur qui me posa la question de savoir où se trouvait le rayon des jeux électroniques, je répondis que j’étais un client pas très régulier de ce magasin et que je ne connaissais pas bien la disposition des rayons. Le monsieur s’excusa, et au vu de son trouble, je compris qu’il m’avait pris pour l’un des vendeurs.

Face à ces deux évènements qui au départ me semblait fortuits, je me suis posé la question de savoir, pourquoi avais-je été pris pour un agent de sécurité dans un premier temps et dans un second temps pour le vendeur du magasin ?

Je fis ensuite un lien avec la tenue que je portais ces soir-là, j’étais en costume-cravate, et soudain l’histoire de ce cadre noir à la télévision me revint en mémoire et je me dis, moi aussi je venais d’expérimenter des préjugés raciaux qui sont faits aux hommes noirs ou encore aux « blacks », expression utilisé pour désigner les noirs et sensée pour certains être à la mode et plus accommodant que « noir ».

Aussitôt je pris la décision que s’il m’arrivait d’aller faire des courses après le travail, je devrais retirer ma veste, ainsi que ma cravate, hiver comme été.

L’homme de ménage

L’histoire aurait pu s’arrêter là, sauf que quelques mois plus tard, je vécus une expérience similaire. Je venais d’aménager dans un nouvel immeuble, quand armé d’un sceau d’eau, d’un balai, d’une raclette, je pris l’ascenseur avec tout mon attirail pour aller nettoyer mon garage au sous-sol. Une voisine qui se joignit à moi dans un pallier, me dis bonjour avec un très large sourire, ce à quoi je répondis également avec un large sourire, en me disant que j’avais des voisins très sympathiques.

Aussitôt passés ces échanges d’amabilités, que la voisine me demanda, si j’étais la nouvelle personne qui faisait le ménage dans l’immeuble. Choqué, je luis répondis, que j’étais son voisin et que j’étais non seulement propriétaire de mon appartement et qu’en plus je possédais l’appartement le plus grand de son immeuble. Avec un peu de recul, je me culpabilisai, en me disant que je n’avais rien fait pour éviter pareil confusion, j’étais habillé d’une salopette jean, j’avais mon sceau d’eau, mon balai et ma raclette, tout ce qu’il fallait pour faire la parfait homme de ménage de mon immeuble J.

Le match de rugby

Quelques années plus tard, je fus invité à un match de l’équipe de Rugby de ma ville. En tant qu’invité VIP, j’étais également invité au déjeuner traditionnel qui précède le match, déjeuner auquel participent, les sponsors et leurs invités, les joueurs, et les invités du club. Le match en lui-même commençait à 16h, cependant nous étions invités à 13 heures pour le déjeuner. Conformément aux indications de mon billet d’invitation je me rendis donc au déjeuner. Celui-ci avait lieu sous un magnifique chapiteau et on y accédait par une entrée prévue à cet effet. Arrivée à cette entrée, je n’eus même pas le temps de montrer mon billet d’invitation, que l’hôtesse à l’entrée me dit que si je venais pour le match, je mettais trompé d’accès et que ces accès n’étaient pas encore ouverts et ouvriraient une heure plus tard et que si je venais pour le service, je m’étais également trompé, car je n’étais pas à l’entrée de service. Cette hôtesse ne vu en moi que ces deux options possibles, furieux, je lui dis que j’étais invité au déjeuner et je lui brandis mon billet d’invitation. Toute confuse, elle s’excusa et se proposa de m’accompagner jusqu’au chapiteau où avait lieu le déjeuner. Je répondis fermement que je saurais retrouver mon chemin. Cet accueil « bien chaleureux », ne m’a pas empêché d’apprécier le délicieux déjeuner préparer par nos hôtes et ensuite le beau spectacle produit par l’équipe de rugby locale qui remporta son match.

La belle allemande

L’histoire qui suit aurait pu arriver à tout le monde et n’a rien à voir avec ma couleur de peau ou ma race. Après quelques années de bons et loyaux services, je cherchais à remplacer ma voiture, et comme beaucoup de personnes de ma tranche d’âge, j’étais attiré par les allemandes qui exprime une forme de réussite. Ayant vu une annonce d’un concessionnaire sur Internet d’une belle allemande, qui était en vente, je me rendis chez celui-ci un samedi matin, habillé de manière très décontractée, un pantalon jean, une chemise jean et des baskets aux pieds.

La belle était garée bien en vue sur le parking du concessionnaire. Un vendeur m’accueillit en me demanda, s’il pouvait m’aider. Je lui dis que je venais pour l’annonce concernant une allemande Je lui parlais de l’annonce, et il me posa la question de quelle allemande il s’agissait. Je la lui montrai sur le parking, le vendeur me regarda d’un air étonné et me posa la question de savoir quel était mon budget ? Ce à quoi, je répondis que l’annonce était suffisamment précise sur Internet sur le prix et que si j’avais fait le déplacement, c’était en connaissance de cause. Pas convaincu et avec un enthousiasme minimal, il me conduisit à la voiture, me le présenta en faisant le service minimum. Je ne m’attardai pas et je rentrai chez-moi en me disant que tant pis pour ce vendeur et qu’un autre vendeur saurait mériter mon argent.

Le chauffeur de corbillard

S’il y a une rue que j’aime bien à Paris, c’est la rue de Turenne, pas parce que c’est la plus belle, mais c’est la rue où sont installés de dizaines de grossistes de vêtements masculins. Beaucoup de marques connues y sont présentes, les boutiques sont sommaires, en y allant il ne faut pas s’attendre au niveau de service d’un Printemps ou des Galléries Lafayette.

A chaque fois que j’en ai l’opportunité, je n’hésite pas y aller comme ce vendredi après-midi, sur le chemin de retour pour la gare de Paris, après trois jours de séminaire dans un hôtel organisé par un cabinet de consulting bien connu, le sujet du séminaire portait sur les technologies du futur.

Cette fois, mon choix s’est porté sur une boutique de costumes où je fus accueilli par une vendeuse très avenante qui par son sourire me mis tout de suite à l’aise. Cet après-midi-là, il n’y avait pas d’autres clients que moi et la vendeuse était également toute seule. Les conversations qui s’en suivirent, suggéraient que celle-ci devait en être la gérante. La conversation s’engagea très facilement, elle m’aida à faire le choix de trois costumes. Au moment de se quitter, elle me demanda dans quel domaine je travaillais et quel métier je faisais. Un peu intrigué par la question, je lui répondis que nous allions jouer aux devinettes et que j’attendais sa première suggestion. Chauffeur me dit-elle, avec un sourire qui semblait dire, « tu vois, au premier coup j’ai gagné ». Pour ne pas gâcher son triomphe, je confirmai qu’effectivement j’étais chauffeur mais dans une Pompes funèbres et que j’étais chauffeur de corbillard. Là elle comprit que je me payais sa tête, elle s’excusa et voulut que je lui donne une seconde chance, je lui dis au revoir et je m’en allais fier de moi et de cette repartie.

Des préjugés sans frontières même entre « Blacks »

Au cours d’un séjour dans la capitale du jeu de l’Ouest américain, qu’est Las Vegas, je me rendis une nuit dans un supermarché pour faire quelques emplettes, là-bas les magasins sont ouverts 24h/24 ; Comme j’avais pris l’habitude en France, je me rendis dans ce supermarché avec mon sac dos, je ne pris pas de chariot. Je commençais à mettre des bouteilles d’eau et de sodas dans mon sac à dos quand surgit un agent de sécurité, un noir, un « black balèze » comme on aurait dit en France, qui s’écria en disant, vous ne pouvez pas les mettre dans votre sac, sans les payer. Ce à quoi je répondis que, bien sûr que j’étais au courant qu’il fallait payer et qu’il pouvait être rassuré que je les payerai. Je continuais mes courses comme si de rien n’était, et je continuais à mettre des articles dans mon sac à dos. Je voyais l’ombre de cet argent de sécurité me suivre le long des rayons.

Quand j’eu fini, je me dirigeais vers les caisses avec mon ange gardien qui me suivait du regard à distance, prêt à déclencher l’alarme au cas où. Arrivé à la caisse, je vidai mon sac à dos de tous les articles, ensuite je sortis une liasse de dollars pour les payer et en fin je les remis dans mon sac. Je sentis le regard de cet agent de sécurité au loin toujours pas tout à fait rassuré, me suivre jusqu’à la sortie du magasin.

L’abris de bus dans un îlot africain en plein cœur de la région parisienne

Moi également, je ne saurais dire que je suis sans reproches, je ne suis pas blanc comme neige, des préjugés j’en ai parfois également. C’est l’histoire qui suit qui vous l’illustrera.

Une connaissance que j’aime bien, m’avait envoyé un colis depuis le Burkina Faso, je devais aller retirer ce colis dans une ville de la région parisienne que je tairai le nom ici.

Je pris le train régional, bien connu sous le nom de TER pour arriver dans cette ville. Dès la sortie de la gare, je tombais sur un affrontement entre des forces de l’ordre et des jeunes de la ville, je continuai mon chemin très vite et je me rendis à l’arrêt du bus qui devais me mener au lieu où je devais retirer mon colis.

Le bus arriva, et j’entrai dans celui-ci. J’allai vers le chauffeur du bus pour payer mon ticket de bus comme cela devait se faire. Le chauffeur de bus me dit qu’après 18h, il ne prenait plus d’espèces. Je lui expliquai que j’étais de passage dans la ville, et que je n’avais aucun titre de transport local, il me rassura en me disant que je pouvais monter dans le bus. Poursuivant la conversation, je lui dis que je devais descendre à l’arrêt dont je lui communiquai le nom, celui-ci me répondit qu’après 18h, il n’allait plus jusqu’à cet arrêt et que son terminus en soirée était à un arrêt avant et que j’allais devoir continuer à pied.

Tout au long du trajet, je remarquais que toutes les personnes qui entraient dans ce bus, ne payaient pas le bus et n’avaient aucun titre de transport. Toutes ces personnes étaient d’origine d’Afrique, du nord ou du sud. A un moment donné je me suis posé la question de savoir si je n’avais pas fait le voyage pour un îlot de l’Afrique qui par quel miracle s’était retrouvé là.

Je finis mon trajet à pied, je récupérai mon paquet et je refis le trajet inverse avec mon paquet dans les bras, tout heureux. Arrivé à l’arrêt bus où j’étais descendu à l’aller, je vis un jeune noir qui était assis sous l’abri bus, quand celui-ci me vit arriver il se leva et se mis de l’autre côté de l’abris du bus. Moi également, pas tout à fait rassuré, je me tenais de l’autre côté de l’abri. Nous étions là tous les deux de part et d’autre de cet abri bus, lui à gauche et moi à droite. Je me dis à cet instant-là que s’il se mettait à pleuvoir, allions-nous réussir à surmonter la peur de l’un et de l’autre, pour nous abriter tous les deux et partager le toit de cet abris bus perdu au milieu de nulle part.

La même considération pour son compatriote

Les préjugés sont également sur le lieu du travail. Il y a quelques années dans mon pays natal, je travaillais pour une multinationale et il m’arrivait très souvent d’aller en mission dans une de nos filiales. Un chauffeur était mis à ma disposition, celui-ci était d’une exemplarité sans faille, toujours ponctuelle, jusqu’au jour qu’il apprit que j’étais son concitoyen. Dès lors tout changea, nos rapports changèrent, la gentillesse et la politesse qu’il avait à mon égard prirent un coup, la ponctualité devint occasionnelle. Je retenu cette leçon, aussi lorsque je revins dans mon pays natal quelques années plus tard en mission pour le compte de mon nouvel employeur, les officiels chargés de nous accueillir et de nous encadrer durant le séjour me prirent pour un africain de l’Ouest et nous échangeâmes en anglais durant tout le séjour. Je ne les contredis pas et mon séjour se passa merveilleusement bien.

En conlusion

Les préjugés par rapport à l’autre ont toujours été omniprésentes en tout temps et en tout lieu. Parfois nous n’hésitons pas à coller une étiquette à un individu, dès lors qu’il est originaire du village qui est voisin du notre de juste quelques hectomètres, dès lors qu’il a la couleur des cheveux différents des nôtres, dès lors qu’il ne parle pas la même langue que nous, dès lors qu’il a une religion différente de la nôtre, dès lors qu’il a une orientation sexuelle différente de la nôtre, ….

Nous sommes tous différents, enrichissons-nous en apprenons de l’autre.

Ces quelques histoires racontées ici ne sont pas le reflet de toutes les personnes que j’ai eu le plaisir de rencontrer, la majorité de celles-ci m’ont considérées à ma juste valeur.